Un an après avoir réussi un nettoyage ethnique en Artsakh avec l’indifférence de la soi-disant communauté internationale et la complicité de la Fédération de Russie, le régime d’Aliev s’apprête à accueillir en grandes pompes la prochaine conférence sur le changement climatique qui aura lieu à Bakou en novembre. D’aucuns songent à une mauvaise farce compte tenu de la politique environnementale de l’Azerbaïdjan, pays exportateur d’hydrocarbures ayant ruiné le sous-sol du littoral de la mer Caspienne. Bakou qui lorgne une place dans le concert des BRICS peut compter sur le soutien de Moscou, tant la relation d’interdépendance s’est accrue entre les deux pays voisins, désormais, alliés stratégiques.
Est-ce que les Arméniens ont à gagner d’un boycott de la prochaine COP ?
A première vue, l’Arménie qui enverra une délégation à Bakou n’a pas grand-chose à gagner si ce n’est un peu de répit avant que l’Azerbaïdjan ne poursuive sa stratégie du salami, à savoir le grignotage méticuleux et impitoyable de son territoire. En ligne de mire : faire de la République d’Arménie un État totalement croupion, où la vie quotidienne deviendrait impossible pour les populations rurales harcelées par les tirs de l’ennemi. Aujourd’hui, le Tavush, demain le Siunik, après-demain le Guegharkunik et son précieux lac Sevan. Trois régions frontalières qui accusent une démographie en chute libre comme l’attestent les dernières statistiques.
Ne nous laissons guère bercer d’illusions, le ministre des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan ne rendra pas visite à son homologue artsakhiote,Davit Babayan, détenu arbitrairement comme ses collègues du gouvernement de Stepanakert dans les geôles de la dictature azerbaïdjanaise.
Isolée, la diplomatie arménienne ne pourra pas non plus compter sur la solidarité de pays amis, à l’instar de la France, de la Grèce ou de l’Inde qui à ce jour n’ont nullement manifesté leur intention de boycotter cet important rendez-vous du multilatéralisme et de l’écologie mondiale.
Faut-il donc se lamenter et réagir naïvement par l’émotion en cherchant à diviser la communauté internationale entre arménophiles et arménophobes? Ou bien au contraire se réjouir de l’opportunité historique qui s’offre? Pendant quelques jours, l’Azerbaïdjan, la nature répressive, terroriste et raciste de son régime, sera sous les feux de la rampe de l’actualité internationale.
Les médias internationaux toutes tendances confondues auront besoin de recueillir des faisceaux d’informations nécessaires à l’élaboration d’un narratif précieux dans la guerre d’information que livre l’Azerbaïdjan et son allié turc, à savoir l’inversion accusatoire.
Se préparer à ce rendez-vous
En Azerbaïdjan, la société civile est persécutée et exposée à la violence si elle dénonce les nombreux problèmes environnementaux qui vont de la pollution de l’atmosphère et des ressources en eau à ceux causés par l’industrie pétrolière. L’Azerbaïdjan joue un rôle clé dans la pollution de la mer Caspienne par les hydrocarbures pétroliers, qui est principalement une conséquence de l’extraction et du traitement du pétrole et du gaz. La superficie de 21,3 mille hectares de la péninsule d’Apchéron sur la côte ouest de la mer Caspienne est fortement polluée par le pétrole et les produits pétroliers en raison d’une activité économique désastreuse, ce qui ne peut que constituer une menace pour les autres pays du bassin de la mer Caspienne : l’Iran, le Kazakhstan, la Russie, le Turkménistan. Le deuxième problème environnemental majeur est dû à la pollution de l’atmosphère, ainsi que des ressources en eau, qui est liée à l’activité intense des raffineries de pétrole. Cela conduit non seulement à l’émission de grandes quantités de méthane dans l’atmosphère, qui est l’un des gaz à effet de serre les plus puissants que nous connaissons aujourd’hui, mais aussi de dioxyde de carbone, qui est le plus dangereux en raison de ses volumes d’émission. Face à la multiplication de dépotoirs, les problèmes de santé explosent dans les zones mitoyennes des terminaux pétroliers. Une situation alarmante qui concerne également les zones de peuplement des mines d’or exploitées par l’Anglo Asian Mining. Rien d’étonnant si en 2017, l’adhésion de l’Azerbaïdjan à l’Initiative pour la transparence des industries extractives a été suspendue pour violation des principes de l’initiative.
Les associations de défense de droits de l’Homme attendues
Les chiffres parlent d’eux-même : le classement accordé à l’Azerbaïdjan par l’ONG Freedom House a été de 7 /100 dans son classement général des libertés en 2024 ; les droits politiques (0/40) et libertés civiques (7/60). De son côté l’ONG Reporter Sans Frontière a hissé l’Azerbaïdjan à la piteuse 164e place sur 180 en 2024 contre 151/180 en 2023. Amnesty International et Human Rights Watch reviennent dans leurs derniers rapports sur la question du blocus et du nettoyage ethnique de l’Artsakh, la situation catastrophique des libertés publiques, de la liberté de la presse et des cas de tortures et mauvais traitements en prison.
Autre sujet passé sous la trappe:que sont devenues les minorités nationales? Le régime de Bakou exhibe avec fierté la bonne entente entre les communautés juives, russes orthodoxes et la majorité chiite turcophone.
D’après l’ONG Minority Right Groups, l’Azerbaïdjan est une mosaïque composée de 13 groupes ethniques qui constituent environ 5% de la population totale. Selon le dernier recensement de la population réalisé en 2019, les Azerbaïdjanais représentaient 94,8 % de la population, les Lezghiens (1,7 %), les Russes (0,7 %) et les Talysh (0,9 %). L’Azerbaïdjan compte un grand nombre de minorités plus petites, chacune représentant moins de 1 % de la population totale, notamment les Avars (0,5 %), les Turcs (0,3 %), les Tatars (0,2 %), les Ukrainiens (0,1 %), les Géorgiens (0,1 %), les Juifs (0,1 %), les Oudis – chrétiens (0,1 %) et les Tsakhours (également 0,1 %).
Les Lezghiens sont un peuple du Caucase qui parle le lezghien (qui appartient à la branche nord-est des langues caucasiennes). Les Lezghiens vivent dans les régions du nord de l’Azerbaïdjan. Ils constituent la plus grande minorité ethnique d’Azerbaïdjan. Selon le recensement du gouvernement azerbaïdjanais, il y aurait 180 300 Lezghiens dans le pays, mais selon les organisations lezghiennes, la population serait de 600 000 à 900 000 habitants. Cette disparité pourrait être due au fait que de nombreux Lezghiens revendiquent la nationalité azerbaïdjanaise pour échapper à la discrimination en matière d’emploi et d’éducation. Pour promouvoir les droits des Lezghiens, une organisation lezghienne, Sadval (Unité), a été créée en 1992. Il s’agit d’un mouvement irrédentiste dont l’objectif explicite est de créer un État lezghien sur les terres du Daghestan et d’Azerbaïdjan habitées principalement par des Lezghiens. Une autre organisation lezghienne (Samur) en Azerbaïdjan prône l’autonomie culturelle. Les Lezghiens ont traditionnellement souffert du chômage et d’un manque de terres pour faire paître et cultiver. Les Lezghiens sont devenus furieux en 1992 lorsque près de 105 000 réfugiés de la guerre d’Artsakh (Haut-Karabakh) ont été réinstallés sur les terres lezghiennes. Au fil du temps, les problèmes de terre, d’emploi, de langue et l’absence d’autonomie interne ont déclenché la volonté d’autodétermination. Ces inégalités et d’autres ont accru la tension entre les Lezghiens et le gouvernement azerbaïdjanais. A l’instar des Talishs qui vivent dans les régions méridionales limitrophes de l’Iran, ils sont envoyés sur les premières lignes pour combattre les Arméniens où le taux de mortalité est plus élevé que la moyenne.
Enfin, qui se souvient aujourd’hui des Kurdes du pays et que ces derniers bénéficiaient jusqu’à la disparition de l’Union soviétique, d’une relative liberté culturelle? La communauté kurde d’Azerbaïdjan est estimée à environ 70 000 personnes, soit moins de 1 % de la population totale de 9,9 millions d’habitants. Une formation autonome kurde (« Kurdistan rouge ») a existé de 1923 à 1930, englobant les régions d’Azerbaïdjan situées entre le Haut-Karabakh et les frontières de l’Azerbaïdjan avec l’Arménie à l’ouest et l’Iran au sud. Joseph Staline a ensuite fait déporter la majeure partie de la population kurde de Transcaucasie au Kazakhstan. Une chose est certaine à ce jour, le parlement azerbaïdjanais ne compte aucun élu en mesure de représenter dignement ses nombreuses minorités à l’inverse du parlement arménien qui peut se targuer d’avoir des députés assyriens et yézidis.
En cette période de rentrée chargée d’angoisses et d’incertitudes, la question du droit au retour des Artsakhiotes doit demeurer en tête de l’agenda des défenseurs de la cause arménienne. A eux la lourde charge d’associer ce combat avec tous les sujets précédemment abordés qui font de l’Azerbaïdjan un Etat paria qui jusqu’à présent est parvenu à se hisser comme un acteur incontournable du système international.