Comment le placement familial s’est-il développé en Arménie ?

Sur le tapis du salon, Knarik et Vahe essaient de rassembler les losanges avec les losanges, les triangles avec les triangles, les rectangles avec les rectangles et ainsi de suite. Vahe, 6 ans, s’applique avec concentration sous l’œil attentif de Knarik, sa maman. Vahan, le frère jumeau de Vahe, préfère observer le processus en cours.

Knarik est en fait la maman d’accueil des deux petits garçons. Cette année, cela fait trois ans que les frères sont venus agrandir le foyer de Knarik.

“Je suis employée dans un orphelinat. Ils font partie du premier groupe d’enfants dont j’ai eu la charge. Vahan a couru vers moi, il lui a semblé que j’étais sa maman. Je ne sais pas pourquoi il pensait ça. Et c’est ainsi que tout a commencé, dès mon premier jour,” raconte Knarik.

Le concept de famille d’accueil a été introduit pour la première fois en Arménie au début des années 2000. A l’époque, le gouvernement, en coopération avec l’UNICEF, a commencé à développer un programme visant à réduire la demande dans les centres d’accueil ouverts 24 heures sur 24, tels que les orphelinats et les internats. Aujourd’hui, il y a environ 170 enfants vivant dans des familles d’accueil, contre plus de 500 dans les orphelinats financés par le gouvernement ou les établissements d’enseignement spécialisés.

“En ce qui concerne le nombre d’enfants, je peux dire que dans les institutions relevant de ma compétence, environ 900 enfants sont pris en charge et éduqués, peut-être un peu plus, dont un peu plus de 500 dans sept internats ou établissements d’enseignement spécialisé,” explique Hayk Khemchyan – Responsable de la protection de l’enfance chez UNICEF.

Mais la nécessité de créer et d’étendre le concept de placement familial, ainsi que la désinstitutionnalisation des orphelins, est née non seulement en raison de la surcharge des institutions, mais aussi parce que la famille d’accueil s’est avérée être une alternative viable aux institutions correspondantes. La famille d’accueil est le lieu où les enfants reçoivent non seulement des soins, mais aussi l’expérience d’être dans une famille, ce qui n’est pas le cas en institution.

“Peu importe le niveau de qualité que nous assurons dans les institutions, la vie en institution est loin d’être un environnement familial. Et en grandissant dans un tel endroit, un enfant n’est pas prêt à vivre une vie indépendante. Nous remarquons des problèmes récurrents, comme le fait que certains enfants qui ont grandi dans des orphelinats, ou la plupart d’entre eux, malheureusement, élèvent ensuite leurs propres enfants dans des orphelinats. Ce cercle vicieux doit être brisé,” explique Mira Antonyan, Directrice exécutive du Centre pour enfants FAR (Fonds d’aide aux Arméniens).

Le mieux pour assurer le bien-être de l’enfant est la stabilité de la famille, en particulier de la famille biologique, selon Antonyan. A condition donc que celle-ci ne soit pas dysfonctionnel. Malheureusement, les familles biologiques sont parfois dans l’incapacité de fournir un environnement sain et des soins appropriés à l’enfant. Et c’est là que les familles d’accueil jouent un rôle essentiel. “ L’enfant qui est placé voit ce à quoi ressemble une famille, avec des parents, d’autres enfants dans leurs relations interpersonnelles avec les bons et les moins bons moments”, explique Anush Aleksanyan, psychologue et fondatrice du centre psy “Ensemble”. “Cela contribue à un développement psychologique plus sain de l’enfant.”

“Les enfants qui ont grandi dans des orphelinats se distinguent clairement dans la société. Tout le monde est vite au courant quand un enfant vit dans un orphelinat. Ainsi, la probabilité et la possibilité de stigmatisation augmentent. La perception qu’a l’enfant de sa situation est beaucoup plus difficile et compliquée. Mais une bonne partie de ces difficultés s’effacent une fois que l’enfant est placé au sein d’une famille,” poursuit Aleksanyan.

Contrairement à l’adoption, une famille d’accueil est un endroit où l’enfant séjourne temporairement pour une raison ou pour une autre. Parfois, certaines familles d’accueil adoptent les enfants à charge.

“Si dans les six mois nous constatons que le problème avec la famille biologique n’est pas résolu et que, pour le bien de l’enfant, il faut que l’enfant soit éloigné de la famille pour une longue période, l’aspect juridique de la question se pose: en cas de refus définitif ou de privation des droits parentaux, c’est-à-dire s’il existe des motifs suffisants pour que l’enfant soit adopté, alors oui, l’enfant peut être adopté. Et alors, oui, nous encourageons les parents d’accueil à devenir parents adoptifs”, explique Mira Antonyan.

Knarik Yesayan, la mère d’accueil de Vahe et Vahan, souhaiterait adopter les jumeaux. Cependant, les obstacles juridiques sont nombreux.

“J’aurais voulu adopter car un parent adoptif et un parent d’accueil sont deux statuts très différents. Nous renouvelons le contrat chaque mois de décembre, mais leur mère peut venir les réclamer à n’importe quel moment. Je ne me prépare pas moi seulement à cette éventualité. Je prépare aussi les enfants à cela. Un jour peut-être elle viendra. Ils savent qu’ils ont une autre mère. Si elle vient les chercher, c’est avec une immense douleur que je devrais les laisser partir,” raconte Yesayan.

“Parallèlement, nous avons des exemples de parents qui ont accueilli un enfant handicapé. Le programme de placement familial est conçu de manière à permettre au parent d’accueil de bénéficier de services de soutien supplémentaires à proximité immédiate pour répondre aux besoins de l’enfant,” ajoute Antonyan.

L’État fournit une aide financière aux familles d’accueil, et diverses fondations et organisations proposent aux enfants des événements et des programmes culturels gratuits.

Selon Hayk Khemchyan, Responsable de la protection de l’enfance chez UNICEF, des changements législatifs concernant la protection de l’enfance sont en cours. “Nous leur fournissons un soutien technique et consultatif, basé sur la meilleure expérience internationale, pour améliorer le système de protection de l’enfance de notre pays afin que les systèmes fonctionnent pleinement dans tout le pays,” conclut-il.

Par Anna Eganyan et Ani Paitjan

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