Message de Ruben Vardanyan au monde depuis sa cellule en Azerbaïdjan

Par Ani Paitjan

Le philanthrope, homme d’affaires et ancien chef d’Etat du Haut Karabakh, Ruben Vardanyan, a publié une déclaration via sa famille depuis son lieu de détention en Azerbaïdjan. Il y fait face à un procès fictif depuis son arrestation en 2023 alors qu’il tentait de sortir du territoire du Haut-Karabakh tombé aux mains des Azerbaïdjanais.

Le message a été enregistré lors d’un appel téléphonique et publié à sa demande.

Dans son message, Vardanyan présente ses excuses à sa famille pour leur avoir causé tant de peine et de tourment avec sa décision. Il fait référence à sa grève de la faim. L’homme d’affaires a entamé une grève de la faim depuis le 26 février pour protester contre le simulacre de procès qui se tient à son encontre à Bakou.

“(…) chacun de nous a son propre chemin, et j’ai choisi ce chemin pour moi-même. Je tiens à souligner une fois de plus que ma décision n’a rien à voir avec mon bien-être personnel ou les conditions de détention (…). Il s’agit d’une protestation – contre la nature même du processus lui-même, contre la manière dont il se déroule.

Je savais dans quoi je m’embarquais, et je m’étais préparé – et je suis toujours préparé – à des conditions encore pires. Je ne suis pas une victime, et je ne veux pas être pris en pitié, car tout cela était une décision consciente,” a-t-il dit.

Vardanyan a poursuivi en disant que ce ne sont pas les 16 prisonniers de guerre arméniens qui sont actuellement jugés mais tous les Arméniens du monde entier: “ce n’est pas la fin de l’histoire, ce n’est pas la fin du conflit, c’est juste une nouvelle étape, malheureusement, pour toutes les parties.”

L’ancien Chef d’Etat du Karabakh a ensuite dit ne pas savoir s’il aurait une autre occasion de parler au monde extérieur mais il a exprimé sa joie d’avoir ete parmi tous les Arméniens, les gens de l’Artsakh (Haut-Karabakh en Armenien, ndlr.), pendant les moments difficiles.

“N’oubliez pas : il ne faut jamais répondre au mal par le mal, car il ne fait que grandir et se renforcer. Nous vivrons à nouveau dans notre patrie, en paix avec notre prochain, dans le respect mutuel et en surmontant la haine et le ressentiment mutuels qui se sont accumulés au fil des ans, tout comme d’autres nations ont réussi à le faire.”

Vardanyan a terminé en disant qu’il était maintenant prêt à aller jusqu’au bout: “en paix avec moi-même, absolument heureux. Car le bonheur commence et se termine en soi, lorsque vous êtes en paix avec vous-même.”

Retranscription complète du message de Ruben Vardanyan

“Chers compatriotes,

Nous sommes aujourd’hui le 5 mars. Je voudrais vous dire quelques mots en tant que Ruben Vardanyan, tel que je suis : en tant qu’Arménien, qui parle et pense en russe. En tant qu’homme du monde, qui est marié et heureux, qui aime tout le monde, qui s’est consacré à l’auto-éducation et qui vit avec la foi en Dieu.

Tout d’abord, je voudrais vous remercier tous de m’avoir soutenu par vos prières, vos pensées, vos lettres et simplement de ne pas être indifférents à ce qui se passe ici. Je ressens toutes ces pensées et ces souhaits et ils me donnent beaucoup de force et d’énergie. Les pensées sont très certainement matérielles. Je suis en bonne forme, je me sens fort, ma santé va bien, je suis en paix avec moi-même, mon esprit est aussi fort que jamais.

Je voudrais m’excuser auprès de ma femme bien-aimée, de ma famille et de tous ceux qui me sont chers et à qui j’ai causé tant de douleur et d’inquiétude par ma décision. Mais chacun de nous a son propre chemin unique et j’ai choisi ce chemin pour moi-même. Notre destin est prédestiné par Dieu, mais c’est nous qui choisissons le chemin que nous empruntons. Même si nous refusons de faire un choix, inévitablement quelqu’un d’autre le fera à notre place.

Je tiens à souligner une fois de plus que ma décision n’a rien à voir avec mon bien-être personnel ou les conditions de détention dans le centre de détention, tout comme ce fut le cas la dernière fois que j’ai entamé une grève de la faim de 20 jours jusqu’à minuit le 24 avril. Il s’agit d’une protestation contre la nature même du processus lui-même, contre la manière dont il se déroule.

Je savais dans quoi je m’embarquais et je m’étais préparé – et je suis toujours préparé – à des conditions encore pires. Je ne suis pas une victime et je ne veux pas être plaint, car tout cela était une décision consciente.

Mes revendications restent les mêmes. Si l’on veut me juger, qu’on me juge professionnellement, publiquement, ouvertement, conformément aux lois azerbaïdjanaises et à toutes les procédures légales, comme tout le monde. En présence de journalistes et d’observateurs internationaux – après tout, vous êtes tellement sûrs de votre droiture. Arrêtez de séparer artificiellement mon cas. Pourquoi m’avez-vous choisi, alors que toutes les accusations à mon encontre sont basées sur l’affirmation selon laquelle je ferais partie d’un groupe criminel organisé depuis 1987 ?

Ne violez pas vos propres lois et procédures. Ne falsifiez pas de documents, ne manipulez pas de preuves et de protocoles. Vous avez tout – mon téléphone et mes autres effets personnels, mes documents, ils sont tous à votre disposition. Ne vous moquez pas du système judiciaire avec ce procès-spectacle, cette farce et ce jeu d’imitation. Si vous voulez juger, alors jugez équitablement.

Je veux dire à tous mes compatriotes, mes bien-aimés : ce n’est pas seulement moi et 15 autres qui sommes jugés, mais tous les Arméniens du monde entier. Et si vous ne comprenez pas cela, c’est une grande tragédie, car ce n’est pas la fin de l’histoire, ce n’est pas la fin du conflit, c’est juste une nouvelle étape, malheureusement, pour toutes les parties.

On m’accuse de tout ce qui s’est passé depuis 1987. Pas de problème, je suis prêt à subir la plus lourde punition pour n’importe quoi, si seulement cela pouvait apporter la paix et la stabilité. Mais c’est une illusion de penser qu’une fois ce processus terminé, vous serez tous laissés tranquilles, que vous pourrez continuer votre vie et profiter des plaisirs simples sans penser à ces problèmes. Des défis nous attendent encore.

Je savais ce que je faisais quand je suis arrivé en Artsakh. Chaque personne dans la vie prend ses propres décisions et à la fin, elle se tiendra seule devant Dieu et répondra de ses pensées, de ses paroles et de ses actes. Je sais que c’est vrai. Même si quelqu’un se sacrifie pour sa patrie, pour sa famille ou pour certains principes, c’est sa décision et sa responsabilité qui sont les siennes.

Et en ce sens, j’étais pleinement conscient de mes choix. Je ne sais pas si j’aurai une autre occasion de vous parler, et je veux donc demander pardon à tous ceux que j’ai pu blesser – par des mots, des actes ou par inadvertance. S’il vous plaît, pardonnez-moi ! Je n’ai jamais rien fait par méchanceté, par envie, par orgueil ou par vengeance. Je n’ai jamais voulu faire de la peine à qui que ce soit.

Je veux dire quelque chose à part à propos d’une personne qui est, malheureusement, celle devant laquelle je ressens le plus de tristesse et de douleur. Cher Alvard, (note : la femme de Davit Manukyan, avec qui Ruben a quitté l’Artsakh en voiture) si je n’avais pas été dans ta voiture, si nous n’avions pas été ensemble avec ton mari, Alvard, il serait avec toi maintenant. S’il vous plaît, pardonnez-moi. Pour moi, c’est la plus lourde punition que j’aie jamais subie, parce qu’à cause de moi, une autre personne souffre à nos côtés. Je voudrais aussi m’excuser auprès de tous les enfants qui ont perdu leur patrie, car je n’ai pas fait tout ce que j’aurais pu, tout ce que j’aurais dû faire pour empêcher cela.

J’ai fait tout ce que j’estimais avoir le droit de faire, parce que j’étais avec vous. Mais j’étais seul avec vous, sans ma famille. Et pourtant, je suis heureux d’avoir pu empêcher certaines choses qui, à mon avis, auraient pu nous briser complètement en tant que nation. J’ai réussi à arrêter cela et à changer un peu le cours de l’histoire. J’étais heureux d’être avec vous, le peuple d’Artsakh, pendant cette période difficile, de toujours ressentir votre amour, votre chaleur, votre gratitude et votre confiance.

Je suis fier de vous, de votre authenticité, de vos bonnes manières et de votre amour sincère pour vous tous. Je suis une personne très heureuse. Dieu m’a donné une famille et des amis merveilleux. J’ai pu réaliser d’innombrables projets avec des partenaires uniques.

J’ai vu tellement de choses dans le monde. Mais les plus beaux jours de ma vie ont été ceux où, malgré toutes les difficultés – le blocus, l’incertitude de l’avenir, les conditions difficiles – nous avons reconstruit ensemble le monastère d’Akobavank, nous avons partagé le pain ensemble et nous avons dansé nos danses. Je suis heureux qu’avec de nombreux amis et partenaires, nous ayons pu réaliser des dizaines de projets en Artsakh.

Je tiens à remercier tout particulièrement mon ami musulman (je ne le nommerai pas pour ne pas lui causer d’ennuis) pour m’avoir donné l’occasion de restaurer ensemble la mosquée de Chouchi.

Souvenez-vous : il ne faut jamais répondre au mal par le mal – car il ne fait que grandir et se renforcer. Et après Soumgaït vient Khojaly, et ce cycle se poursuit sans fin. Cette voie n’a jamais été acceptable pour moi, car elle n’a pas d’avenir – c’est une impasse sans, malheureusement, aucune bonne issue.

Je tiens également à remercier les nombreux Azerbaïdjanais que j’ai rencontrés ici pour être restés fidèles aux valeurs humaines fondamentales, même s’ils me considèrent comme un ennemi et ont leurs propres griefs et méfiance. Malgré ce qu’ils peuvent ressentir, beaucoup d’entre eux ont fait preuve d’humanité envers moi.

Quant à ceux qui ne l’ont pas fait, je les plains sincèrement et je leur pardonne, tout comme je pardonne aux Arméniens qui se comportent de la même manière envers moi et ma famille en Arménie.

Je suis optimiste et je crois que malgré tout, nous surmonterons tous les défis et les difficultés qui nous attendent. Nous vivrons à nouveau dans notre patrie, en paix avec notre voisin, dans le respect mutuel et nous surmonterons la haine et le ressentiment mutuels qui se sont accumulés au fil des ans, tout comme d’autres nations ont réussi à le faire.

Mais si nous voulons vraiment cela, nous avons besoin d’une paix réelle, stable et à long terme – pas seulement sur un bout de papier, mais une paix durable et respectée par tous au quotidien. Nous devons comprendre que personne ne nous doit rien. Des accords durables ne peuvent être conclus que par des personnes fortes, avec un pays doté d’une élite honorable et digne. Les véritables élites ne se définissent pas par la richesse, les relations, le pouvoir ou même l’intellect – mais par la compréhension que ceux qui ont reçu plus dans la vie sont tenus à un niveau plus élevé. Les véritables élites placent leur devoir envers la société et leur responsabilité pour l’avenir de la nation au-dessus de tous les intérêts et désirs personnels.

Et enfin, en mémoire de tous ceux qui sont tombés et ont souffert dans ce terrible conflit – je crois profondément que certaines choses sont plus importantes que la vie d’une seule personne. Il s’agit de la foi dans le bien, dans la lumière, dans l’amour, dans les valeurs, dans les choses sacrées – les fondements spirituels qui distinguent les humains des machines. Sans elles, le monde sombrera à nouveau dans le chaos ou périra dans une inondation ou d’autres catastrophes. Il ne faut pas devenir esclave du veau d’or… Tout cela s’est déjà produit dans l’histoire de l’humanité. Ne permettons pas que cela se reproduise et faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher, car la foi dans les valeurs est le fondement de notre avenir.

C’est pourquoi, pour préserver ces valeurs fondamentales, je suis prêt à aller jusqu’au bout, en paix avec moi-même, absolument heureux. Car le bonheur commence et finit en vous, lorsque vous êtes en paix avec vous-même. Vous pouvez être heureux dans un palais luxueux, vous pouvez être heureux dans la pire cellule de prison – si vous êtes en paix avec vous-même.

Je suis heureux de pouvoir servir mon peuple et les principes que je considère comme étant de la plus haute importance non seulement pour notre nation mais pour toute l’humanité.

Et enfin, je veux dire qu’il ne faut jamais… J’ai compris ici qu’il ne faut jamais céder au désespoir ou à l’indifférence, et j’ai compris pourquoi c’est le plus terrible des sept péchés. Je pensais que c’était l’orgueil ou l’envie. Mais le désespoir signifie que l’étincelle divine en toi s’est éteinte, que tu as cessé de croire en quoi que ce soit, que tu as simplement levé les mains et abandonné.

Jamais – je vous en prie… Je voudrais que nous ne perdions jamais foi en tout et que nous ne cédions jamais au désespoir. S’il te plaît ! C’est le fondement de notre avenir, et c’est pourquoi je vous aime tous et apprécie profondément la chance qui m’a été donnée. Je ferai tout ce que je peux et je continuerai à le faire.

Je vous aime tous. Je suis sûr que tout ira bien. J’ai toujours été, je suis et je serai avec vous. Je suis une personne qui veut vivre, qui veut aimer et qui veut continuer son travail. Mais je crois que ce que je fais est la bonne chose, car c’est la seule façon de vous réveiller de l’indifférence dans laquelle vous vous trouvez.

Tout ira bien !

Je vous aime, je vous respecte et je suis sûr que malgré toutes les difficultés à venir, nous persévérons. Je me tiens à vos côtés en tant que Ruben Vardanyan, fils de Karlen, petit-fils de Hamayak Vardanyan, porteur de tout mon héritage – l’héritage de mes parents et de ma grand-mère d’Artsakh.

Je vous suis reconnaissant de m’avoir donné la joie d’être arménien et d’aimer ma patrie.”

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