Conférence révisionniste à Rome, à quoi joue le Vatican ?

L’événement serait globalement passé inaperçu si l’ONG Monument Watch qui veille à la protection du patrimoine arménien de l’Artsakh, n’avait pas tiré la sonnette d’alarme. Après avoir fièrement annoncé la mise en ligne de l’azerbaïdjanais comme 56e langue du très sérieux média Vatican News, organe officiel de presse du Saint-Siège, c’est au tour de la prestigieuse Université pontificale grégorienne de Rome de céder aux sirènes de la diplomatie du caviar.

Le 9 avril, une dépêche diffusée sur le site de la très controversée « communauté des chrétiens albanais-oudis », émanant d’un microscopique groupe de chrétiens allogènes instrumentalisés par le régime de la famille Aliyev, a annoncé la tenue d’une conférence internationale consacrée à l’Albanie du Caucase dans l’enceinte de l’Université pontificale grégorienne de Rome. L’occasion pour le pouvoir azerbaïdjanais de diffuser dans un cénacle hautement symbolique son discours révisionniste visant à effacer toute trace du patrimoine arménien de l’Artsakh et du Nakhitchevan. Ce discours émane de l’historiographie azerbaïdjanaise soviétique, il vise à établir une filiation entre les Azerbaïdjanais et l’ancien peuple chrétien de l’Albanie du Caucase, thèse élaborée par l’historien ultra nationaliste Z.M Bunyatov (1921-1997) dans les années 1960… et qui permet à présent de justifier l’identité azerbaïdjanaise du Karabagh en réfutant le caractère arménien de ses habitants, présentés comme des Albaniens « arménisés ».

Pourtant, l’annonce de cette manifestation n’a pas eu l’heur de figurer sur le site de l’université romaine, ni sur ses chaînes de réseaux sociaux ; l’affiche de la manifestation ne portait ni logo de l’université ni mention du lieu. On apprendra que l’ambassade d’Azerbaïdjan auprès du Saint Siège aurait loué une salle. Notons enfin que cette manifestation se déroule dans la foulée de la remise à l’ambassadeur d’Azerbaïdjan auprès du Saint-Siège et du Portugal Ilgar Mukhtarov, le 6 avril du grade de l’ordre de chevalier du pape Pie X de la Grande Croix par l’archevêque vénézuélien Mgr Edgar Pena Parra, nonce apostolique et substitut à la Secrétairerie d’Etat.

Qui étaient les intervenants ?

L’organisation de cette événement revient à l’ambassadeur Mukhtarov, qui s’était entouré de Ravan Hasanov, directeur exécutif du centre de Bakou pour le multiculturalisme, organe connu pour la promotion du soft power azerbaïdjanais en Occident, Karim Sukurov, caution scientifique du régime, et directeur de l’institut d’histoire et d’ethnologie ANAS d’Azerbaïdjan ; enfin le bien connu Robert Mobili, caution chrétienne du régime, et à la tête de l’association des Oudis d’Azerbaïdjan, qui essaie depuis des années de décrocher le sésame d’une reconnaissance officielle de son « Église » auprès des Églises orthodoxes, orientales et catholiques.

Cette conférence en anglais aura attiré des chercheurs majoritairement issus de l’espace post-soviétique a priori acquis aux thèses de la propagande azerbaïdjanaise, à l’instar d’Azamat Ziyo, directeur de l’institut d’Histoire de l’Académie des sciences de l’Ouzbékistan, Ziyabek Kabuldinov, directeur général de l’institut d’histoire et d’ethnologie Valikhanov rattaché au ministère kazakhstanais des Sciences et de l’Éducation. Citons également l’archimandrite russe orthodoxe Alexy Andrey V. Nikonorov, Nazila Isgandarova, professeure au collège Emmanuel de l’Université Victoria de Toronto, ou encore Yuksel Ozgen, président de la très négationniste société turque d’Histoire, Roman Lolua philologue (université de Tbilissi).

Parmi les universitaires occidentaux participants à cette opération de communication du régime de Bakou, on citera Francesco Mazzola, professeur à la Milan Technical University, Gregory Neal William Jr, directeur de la Normisjon for Azerbaijan, en charge des études interculturelles, Leman Berdeli de l’Université La Sapienza de Rome, Bjorn Wegge, de l’université d’Oslo. Mais aussi un chercheur français, en la personne de Gilles Authier, spécialistes des langues du Caucase (Azerbaïdjan et Daghestan) et professeur à l’école pratique des hautes études, connu pour sa proximité avec les officiels azerbaïdjanais pays, où il a exercé par le passé la direction de l’antenne de Bakou de l’Institut français d’études anatoliennes. Le même Authier qui avait soutenu l’Azerbaïdjan pendant la guerre de 2020 et participé aux festivités du centième anniversaire de la première république azerbaïdjanaise au sénat français est un discret mais actif soutien des réseaux azerbaïdjanais en France.

A quoi joue le Vatican ?

A la façon d’un iceberg, la profondeur des liens qui unissent le Saint-Siège à la pétro dictature azerbaïdjanaise demeure voilée par le sceau de l’opacité. Mais un faisceau d’éléments de plus en plus important permet à présent de dresser plusieurs constats. Depuis une dizaine d’années, on ne compte plus les initiatives et les actions entreprises pour resserrer les liens entre Rome et Bakou. Les plus célèbres étant la plus haute distinction du Saint-Siège, la Grand-Croix du Piano de l’Ordre, remise à l’épouse de l’autocrate azerbaïdjanais et la vice-présidente Mehriban Aliyeva.

De fait, la diplomatie du caviar semble porter ses fruits si l’on constate la liste des restaurations financées par le régime de Bakou compilées par le biais de sources ouvertes. Celles-ci comprennent les catacombes romaines (celles des saints Marcellin et Pierre sur la Via Casilina, mais aussi celles de Commodilla), les musées du Vatican (la restauration de la statue de Zeus au musée Pio Clementino, qui fait partie des musées, ainsi que les anciennes armoires de la salle Sixtine), la bibliothèque apostolique du Vatican (plus de 3 000 000 livres et 75 manuscrits), les églises en France (cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, l’église de Saint- Paterne et une autre située à Réveillon) et en Azerbaïdjan (comme l’Église catholique de L’Immaculée Conception à Bakou, dont la construction a été financée en grande partie par le régime, a rapporté Askanews ; il en va de même pour sa restauration et sa rénovation achevées en 2021), et même St. Basilique Saint-Pierre (en particulier, le bas-relief représentant la rencontre entre le pape Léon Ier et Attila, roi des Huns). Il s’agit de dons alloués au Saint-Siège évalués à près de 640 000 euros selon les données trouvées en ligne.

En 2020, cependant, Emin Rustamov, alors président de l’Association de la jeunesse italienne d’Azerbaïdjan à Rome et maintenant conseiller du président de la Commission d’État de Bakou pour le travail avec la diaspora, a tweeté que « l’Azerbaïdjan a fait don de plus d’un million d’euros pour la restauration de plusieurs monuments historiques et églises du Vatican ». Hashtag d’accompagnement : #NonèGuerraDiReligione (« Ce n’est pas une guerre religieuse»).

Selon une enquête publié sur le site IrpiMedia par des journalistes d’investigation italiens, le cardinal Gianfranco Ravasi, président honoraire du Conseil pontifical de la culture et président de la Commission pontificale pour l’archéologie sacrée, est le plus haut responsable du Vatican qui a fait le plus d’efforts pour ouvrir un dialogue avec l’Azerbaïdjan qui l’a décoré en 2013 de l’Ordre de l’Amitié. Ce haut dirigeant vaticanais avait été nommé par le pape Benoît XVI au sein du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.

Plus troublant est le rôle attribué au cardinal Claudio Gugerotti de Vérone, nommé par le pape François, préfet de la Congrégation pour les Églises orientales et qui entretient d’étroites relations avec le pouvoir azerbaïdjanais depuis le début des années 2000 où il était nonce pour le Caucase du Sud. Dans la cuisine vaticane, ce prélat est surnommé Don Stambecco » (« Père Ibex »). Certains de ses pairs restés anonymes dénoncent son « carriérisme précoce et débridé », comme l’a révélé dans le livre à succès de 1999 Via col vento in Vaticano. Dix ans après avoir commencé sa mission en tant que nonce apostolique en 2011, Gugerotti a signé l’accord historique qui, pour la première fois, réglemente les relations entre Bakou et l’Église catholique. Au moment de la ratification – rappelle un livre de 2019 produit par la Moral Values Promotion Foundation de Bakou, intitulé Christianity in Azerbaijan – Gugerotti a exprimé « sa gratitude » au gouvernement azerbaïdjanais pour avoir créé les conditions qui ont rendu possible cet accord, soulignant que « notre pays est toujours resté attaché aux principes de tolérance », et notant que l’accord était « le premier document du genre, parce que le Vatican n’avait jamais signé un tel accord avec un État auparavant ».

Enfin, le prélat britannique Paul Richard Gallagher, secrétaire pour les relations avec les États de la secrétairerie d’État depuis 2014 (équivalent de ministre des Affaires étrangères) ne fait pas mystère de son penchant, l’homme semble avoir son rond de serviette dans les meilleures tables de Bakou où il s’est rendu à maintes reprises, la dernière fois en décembre dernier. Il avait par ailleurs loué le « niveau de tolérance et de respect envers les communautés religieuses d’Azerbaïdjan », lors d’une visite en 2018. Et ordonné à Bakou le premier évêque catholique en Azerbaïdjan en la personne du religieux slovaque de la communauté salésienne Mgr Vladimir Fekete.

Les croyants arméniens sous le choc

Si les Arméniens de la diaspora comme d’Arménie ont de bonnes raisons d’être choqués par le mutisme du Vatican, comme lors de l’absence de soutien du cardinal élu Bergoglio, pendant la guerre de 2020, et dans la foulée du nettoyage ethnique de 2023. Il convient de rappeler le haut degré d’impréparation des Églises arménienne apostolique et catholique, mais aussi des dirigeants de la République d’Arménie dans un effort conjoint et coordonné de contrecarrer la redoutable propagande du régime des Aliyev qui depuis plusieurs décennies à patiemment construit son récit révisionniste. Peu importe que la vérité triomphe tant que le pouvoir de l’argent avilit les âmes et corrompe les cœurs.

Tigran Yégavian

  • Le Vatican d’aujourd’hui est comme une Discothèque (spirituel)
    Vous payez et vous organisez l’événement que vous voulez !!!

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