Le gouvernement arménien a voté jeudi en faveur de l’adhésion à l’Accord d’Achgabat.
Il s’agit d’un accord de transport multimodal et multinational pour la création d’un corridor international de transport et de transit qui faciliterait le transport de marchandises entre l’Asie centrale, le golfe persique et la mer d’Arabie.
Selon le gouvernement, “Il créera des conditions fiables pour le transport de marchandises et de passagers entre les États membres, facilitera le transport multimodal, optimisera les coûts de transport, augmentera le rôle du transit arménien, augmentera la sécurité des expéditions de marchandises, etc.”
A ce jour, le Kazakhstan, l’Ouzbekistan, le Turkmenistan, l’Iran, l’Inde, le Pakistan et Oman sont parties à l’accord.
L’accord s’inscrit en conformité avec le projet Carrefour de la paix proposé par le gouvernement arménien en octobre 2023 dont l’objectif est de contribuer à approfondir la coopération en matière de transport et d’économie dans la région.
L’accord complète également les intérêts stratégiques de la Chine en Arménie, qui considère le pays comme un maillon potentiel de ses efforts pour relier l’Asie à l’Europe, et les ambitions de l’Iran d’étendre la connectivité dans le Caucase du Sud. Dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route » (Belt and Road Initiative – BRI) de Pékin, la Chine a voit dans le Caucase du Sud un carrefour crucial pour le transport de marchandises depuis ses pôles industriels vers les marchés européens, en contournant les routes maritimes volatiles comme la mer Rouge ou les corridors politiquement sensibles passant par la Russie. L’Arménie, malgré sa petite taille, offre un pont terrestre théoriquement stable qui pourrait renforcer la capacité de fret terrestre de la Chine via le golfe Persique, l’Iran, puis la Géorgie jusqu’à la mer Noire.
L’Iran, pour sa part, considère l’Arménie comme son seul partenaire terrestre fiable au nord, compte tenu de ses relations tendues avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. Téhéran envisage de renforcer les liaisons routières, ferroviaires et énergétiques à travers le territoire arménien dans le cadre de ses ambitions de corridor commercial nord-sud, visant à relier le golfe Persique à la Russie et à l’Europe tout en évitant la dépendance aux routes contrôlées par l’Azerbaïdjan. Cette vision s’inscrit dans la stratégie géopolitique plus large de Téhéran visant à contrer l’influence turque et azerbaïdjanaise dans la région.
L’Iran et l’Arménie rejettent fermement le projet azerbaïdjanais de “corridor de Zanguezour”, qui propose un passage extraterritorial reliant l’Azerbaïdjan continental à son enclave du Nakhitchevan via la province arménienne de Syunik. Soutenu par la Turquie, ce corridor est perçu à Erevan et à Téhéran comme une menace géopolitique susceptible de porter atteinte à la souveraineté arménienne et d’affaiblir le rôle de l’Iran dans le transit régional en offrant à la Turquie et à l’Azerbaïdjan un accès direct à l’Asie centrale, contournant ainsi le territoire iranien.
Par ailleurs, le projet arménien de « Carrefour de la paix », conçu pour positionner l’Arménie comme une plateforme logistique régionale en offrant des voies de transport ouvertes et réglementées à tous ses voisins, n’a pas réussi à obtenir l’adhésion de Bakou ni d’Ankara. La méfiance demeure vive après la guerre du Haut-Karabakh de 2020 et la fragilité des négociations post-conflit. Alors qu’Erevan présente le projet comme un modèle gagnant-gagnant pour la coopération régionale, l’Azerbaïdjan et la Turquie semblent davantage concentrés sur la sécurisation des voies de transit qui servent leurs propres priorités géopolitiques, en particulier celles qui limitent l’influence de l’Arménie ou renforcent la domination stratégique turco-azerbaïdjanaise.
L’année dernière, l’Arménie a lancé un important projet d’infrastructure dans sa région la plus méridionale de Syunik, avec la construction d’une nouvelle autoroute entre les villes de Sisian et de Kajaran. Ce tronçon, qui s’inscrit dans le cadre du projet plus vaste de corridor routier Nord-Sud, vise à moderniser le réseau de transport intérieur arménien et à faciliter le transport de marchandises et de passagers d’Erevan à la frontière iranienne à Meghri, plus rapide et plus sûr. L’objectif est de réduire les temps de trajet, d’améliorer la sécurité routière et de garantir un transport fiable toute l’année à travers un terrain montagneux actuellement desservi par des routes vétustes et vulnérables.
D’une importance stratégique, cette nouvelle route offre une alternative aux autoroutes existantes qui longent dangereusement la frontière azerbaïdjanaise, notamment dans le contexte post-guerre de 2020, où des affrontements frontaliers et des incidents de sécurité récurrents ont suscité des inquiétudes quant à la sécurité de ces routes. Le tronçon Sisian-Kajaran contourne les sections sensibles au conflit de l’autoroute Goris-Kapan, dont certaines parties sont sous contrôle azerbaïdjanais ou soumises à des pressions militaires depuis le cessez-le-feu. Ce nouvel axe routier représente donc non seulement une modernisation des infrastructures, mais aussi une nécessité géopolitique pour garantir un accès ininterrompu de l’Arménie à l’Iran, son partenaire clé en matière de commerce régional et d’approvisionnement énergétique.
L’autoroute est un élément phare de l’ambition plus large de l’Arménie de devenir une plaque tournante du transit reliant l’Asie à la mer Noire, et à terme aux marchés européens. En offrant une route sécurisée, financée internationalement et à grande capacité, Erevan espère attirer le trafic de marchandises qui dépend actuellement de corridors moins sûrs ou plus sensibles politiquement via l’Azerbaïdjan ou la Turquie.
Le tronçon Sisian-Kajaran devrait être achevé d’ici 2030 et s’inscrit dans le cadre d’un plan d’investissement national de plusieurs milliards de dollars soutenu par plusieurs partenaires internationaux. Le soutien financier essentiel provient de la Banque européenne d’investissement (BEI), de la Banque asiatique de développement (BAD) et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), toutes trois concernées par la promotion de la connectivité régionale et du développement économique dans le Caucase du Sud. Le gouvernement arménien y contribue également de manière significative, considérant le projet comme essentiel à sa sécurité nationale et à sa résilience économique.
De plus, le succès du projet pourrait aider l’Arménie à renforcer son influence géopolitique dans un contexte de concurrence croissante entre la Russie, la Chine, l’Union européenne et l’Iran pour exercer une influence dans le paysage du transit dans le Caucase du Sud. Une mise en œuvre adéquate pourrait également servir de levier aux efforts diplomatiques d’Erevan pour négocier des accords de transport régionaux plus favorables, notamment pour contrer les tentatives azerbaïdjanaises et turques d’imposer le controversé du soi-disant “corridor de Zanguezour.”
Par Ani Paitjan