Rencontre de Bruxelles: quelles garanties pour l‘Arménie ?

La réunion conjointe de haut niveau Arménie-UE Etats-Unis du 5 avril à Bruxelles a réuni le Premier ministre Nikol Pachinian, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le Secrétaire d’État américain Antony Blinken et le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell. Tous, ont fait des déclarations d’amitié, de soutien, et à l’Arménie. La présidente de la commission européenne évoque un programme «d’aide à la résilience de l’Arménie » sous la forme d’investissements pour aider son économie à résister aux choix.

En l’occurrence un prêt de 270 millions d’euros, destiné aux petites et moyennes entreprises arméniennes. Un prêt qui viendra inexorablement accroître la dette de l’Arménie. Bizarrement, aucune allusion n’a été faite aux 2,6 milliards d’euros promis par l’UE à l’Arménie dans la foulée de la guerre des 44 jours en 2021.

Sur le plan géopolitique, Ursula Von der Leyen a salué le projet du gouvernement arménien « Carrefour de la paix » et a noté que l’UE étudiera également les transports transfrontaliers lorsque les conditions le permettront. Des vœux pieux, de la communication, sans lien effectif avec la réalité sur le terrain.

Pas de dissuasion ni de sanction pour l’heure. Le Secrétaire d’Etat Blinken a certes annoncé à Bruxelles une hausse de 50 % de l’aide économique américaine pour soutenir les réformes en Arménie (65 millions de dollars), une ligne de crédit qui n’aura en conséquence que l’effet dérisoire d’un hochet de compensation face aux besoins vitaux de l’Etat arménien pour assurer sa survie.

Naguère un caillou dans la chaussure des Occidentaux, les Arméniens de l’Artsakh, désormais réfugiés en Arménie ont fait l’objet d’une distraite attention, dans la mesure où en aucun la question du droit au retour n’a été évoquée, encore moins de rappeler à l’Azerbaïdjan ses obligations morales. La présidente de l’US Aid Samantha Power, experte pourtant sur les questions de génocide a été rattrapée par la realpolitik. Après une brève visite dans le Siunik en septembre dernier, nous ne l’entendons plus de sitôt sur le sujet en dehors de sa communication publique habituelle.

Le mirage occidental

En Arménie comme dans les communautés les plus influentes de la diaspora les opinions semblent partagées. Derrière le programme de prêt de 270 millions d’euros intitulé « Résilience et croissance de l’Arménie 2024-2027 le message ne peut être que plus explicite : il s’agit d’aider l’économie arménienne à être « plus résiliente aux chocs », autrement dit diminuer sa dépendance économique vis-à-vis de la Russie. Dépendance énergétique d’abord (d’où l’allusion au renforcement et au développement du nucléaire civil) mais pas forcément militaire : là les Occidentaux demeurent étrangement bien discrets. Pour l’heure et contrairement à ce que veulent croire des commentateurs à Erevan, il est question d’intégrer à court ni à moyen ni à long terme dans l’UE. Il faudra comprendre cette rencontre qui n’a rien d’historique, un pas en avant vers le processus de sortie du post soviétisme de l’Arménie à ses risques et périls.

Ajoutons à cela un contre sens troublant. Certains analystes se félicitent que l’Union Européenne agisse en faveur du renforcement de la souveraineté des trois républiques du Caucase. D’une part ce postulat pose un problème, car comment peut-on comparer l’Azerbaïdjan, le plus puissant des Etats du Caucase, jouissant de tous les attributs de la souveraineté, qui a su habilement développer une politique de défense et étrangère basée sur l’idée du multi alignement tout en conservant sa neutralité et jouissant d’une relation exceptionnelle avec la Turquie ? Dans quelle mesure l’Arménie peut-elle accéder à une pleine souveraineté sans leviers comparables au plan géo économique, démographique et géo stratégique ?

A Erevan les esprits naïfs veulent croire en un pivot occidental le rapprochement avec l’UE, l’Otan se fera au prix de l’abandon de l’Artsakh, comme les Géorgiens ont payé le prix de leur éloignement de la Russie en renonçant du moins tacitement à l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.

Absence de dissuasion

L’Azerbaïdjan proteste, menace, sachant pertinemment qu’il n’a rien à craindre ; tant qu’il n’y aura pas de dissuasion militaire pour l’Arménie encore moins de sanctions. Bakou sera en droit d’exiger un même format de discussion afin de faire monter les enchères.

Enfin, que vaut un « Carrefour de la paix » sans la moindre dissuasion, si l’actuelle mission d’observation de l’UE n’est pas encore en mesure de défendre l’intégrité du territoire national et de repousser l’assaillant des territoires qu’il occupe ? Si l’UE veut être cohérente avec ses messages d’amitié envers l’Arménie, un premier gage consisterait à rendre publique les cartes établies par ladite mission européenne déployée le long de la frontière arméno – azerbaïdjanaise qui rend compte de la présence de forces armées azerbaïdjanaises sur des portions de territoires souverains de la République d’Arménie.

On l’aura compris : l’intérêt premier demeure identique : affaiblir sinon contribuer au départ de la Russie de la région, nécessité de trouver un terrain d’entente entre les pays du Caucase du Sud et entre ces derniers et la Turquie, pilier oriental de l’OTAN. Le bon sens nous invite à penser à une politique d’équilibre dans un contexte extrêmement dangereux.

Et de dénoncer une naïveté criminelle, celle de penser que les Occidentaux forts de leur discours vont promouvoir la souveraineté d’un pays aussi vulnérable que l’Arménie sans renforcer les institutions de l’Etat, sa défense, sa diplomatie, ses infrastructures critiques.

Tenant compte des recompositions géopolitiques accélérées par la guerre en Ukraine à la faveur de la Russie, alliée pour l’heure de l’Azerbaïdjan , et la guerre entre Israël, l’Iran – partenaire stratégique de l’Azerbaïdjan et ses proxies, il y a tout lieu de croire que Bakou profitera du vide sécuritaire pour agresser à nouveau l’Arménie sans que l’UE ni l’OTAN ni les Etats-Unis ne fassent usage de moyens de dissuasion et de coercition contre le comportement belliqueux du dictateur Aliyev.

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