Antélias, cœur battant de la nation arménienne

Du 20 au 22 avril dernier, le Catholicossat de Cilicie au Liban a accueilli une conférence consacrée à la poursuite du génocide des Arméniens et à la question de l’Artsakh. Des chercheurs, intellectuels et militants originaires de l’Arménie, de l’Artsakh et de la diaspora se sont réunis à Antélias dans l’enceinte du catholicossat pour partager leur analyse et débattre de sujets aussi brûlants que vitaux.

Organisée par la plateforme Cilicia d’analyse mise en place au début de l’année par une équipe de chercheurs et d’intellectuels d’Arménie, d’Artsakh et de diaspora, cette conférence a été marquée par deux temps forts.

Tout d’abord la venue à Antélias de l’ancien premier procureur de la Cour Pénale de 2003 à 2012, Louis Moreno Ocampo, dont la venue a été facilitée par ses compatriotes argentins, Mario Nalbandian, vice-président de l’Internationale Socialiste et le professeur Khachig der Ghoukassian membre de la plateforme Cilicia.

Cette figure majeure de la lutte contre les génocides est revenu à deux reprises sur la nécessité impérieuse de poursuivre le combat pour la poursuite des responsables azerbaïdjanais du blocus et du nettoyage ethnique contre la population de l’Artsakh; s’abritant derrière le concept de crime de génocide. Au cours d’une conférence donnée dans l’enceinte du catholicossat en présence des principaux responsables et personnalités de la communauté arménienne du Liban, le juriste argentin a renouvelé son appel à la mobilisation. Il est revenu sur le précédent cas soudanais dans lequel l’ancien président Omar el-Bechir avait été poursuivi pour crimes contre l’humanité au Darfour et a été décoré par le catholicos Aram Ier. L’appel de Moreno Ocampo a été réitéré à huis clos au cours de sa rencontre avec les conférenciers le lendemain.

La conférence a été organisée autour de différents thèmes :

– Le panturquisme

– La géopolitique régionale et le rôle des grandes puissances

– La politique génocidaire de l’Azerbaïdjan

– L’actualité de la question artsakhiote et de son patrimoine

– La situation de la diaspora

L’autre temps fort, était la venue de Vartan Oskanian, l’ancien ministre des Affaires étrangères à la tête d’un groupe de travail sur le droit des Arméniens de l’Artsakh, fort de son expérience de son réseau professionnel, il est revenu sur la nécessité de coordonner ses travaux avec ceux de la plateforme dans l’espoir d’œuvrer à une vision porteuse de perspectives.

Cette synergie est plus qu’attendue, pourra-t-elle se faire sans la participation des dirigeants arméniens? Un dialogue est-il possible à l’heure où le propre Premier ministre refuse la main tendue par le catholicos de Cilicie, en plus de brader des territoires arméniens stratégiques dans le Tavush? Un travail de coordination est-il réaliste alors que le propre Premier ministre s’enfonce dans une rhétorique révisionniste à propos de la propre question de 1915 en optant pour l’emploi du mot « yeghern » (crime en français) à dessein au lieu de celui éminemment politique de «génocide »?

À l’heure où l’Artsakh a disparu de la carte, jamais le fossé n’a été aussi profond, jamais la diaspora n’a été aussi faible et l’Arménie vulnérable.

On l’aura compris, les défis sont de nature existentielle, le dialogue en l’état semble fort peu réaliste et pourtant indispensable.

Sur quoi pourrait déboucher un tel travail d’analyse, d’échange d’information et de réflexion?

Dans un premier temps il conviendrait de renforcer l’assise du Catholicos de Cilicie, éminente figure spirituelle, qui ne ménage pas ses efforts pour porter la voix de son peuple auprès des différentes instances internationales.

Dans un second temps il s’agirait d’œuvrer à un agenda pan arménien et le décliner en plusieurs parties, conformément aux contextes respectifs.

Le catholicos Aram Ier leader de la diaspora?

À ces défis, le catholicos répond par l’unité et la concorde. À ses yeux, l’unité pan arménienne doit primer sur tout. Au cours des journées de commémoration du génocide, le Catholicos de Cilicie a tendu la main au catholicos de tous les Arméniens tenant compte de la dégradation des relations entre le Saint Siège d’Etchmiadzine et le gouvernement arménien. Il a renouvelé le principe de solidarité autour du principe de l’unité de l’Église arménienne apostolique organisée autour de deux sièges catholicossaux et de l’unité de la Nation. Une unité malmenée par la polarisation de l’Arménie et l’affaiblissement de la diaspora.

Le Catholicossat de la Grande Maison n’est pas uniquement le principal foyer national et spirituel de la diaspora arménienne post 1915; il est une mission à lui tout seul.

Une mission orientée sur trois axes : la défense des droits du peuple arménien, l’engagement œcuménique et l’engagement interreligieux. Fort de son engagement œcuménique qui lui a valu la reconnaissance de ses pairs des Églises d’Orient et surtout d’Occident, Sa Sainteté Aram Ier a su décloisonner la question arménienne et la rendre visible dans l’espace public international.

Mais aux défis existentiels précédemment cités s’ajoute la dramatique situation du Liban et celle catastrophique de la communauté arménienne de Syrie, les deux poumons historiques de la diaspora post 1915. Effondrement de l’État et de l’économie au Liban, agonie de la communauté de Syrie, hémorragie démographique, perte de sens, recherche d’un avenir ailleurs en Occident, etc. constituent des priorités majeures que le Catholicossat devrait affronter sans crainte et avec confiance.

Les semaines et les mois qui suivront seront décisifs. Ils auront valeur de test. Le catholicos a parlé de la solitude des Arméniens en rappelant que ce peuple de survivant en lutte pour son existence n’a pas d’amis. D’où l’impératif de pragmatisme et de réorganisation.

Si sa mission réussit, cela voudrait dire que les élites arméniennes sont capables de travailler en bonne intelligence afin d’aller au-delà des déclarations de bonnes intentions; condition sine qua non pour œuvrer à une vision stratégique inclusive et œuvrer à la nécessaire tâche de refondation nationale.

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